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Marc HAUTEKEETE

Un explorateur au service de la psychologie


De la préhistoire à la psychologie, il semble n’y avoir qu’un pas. C’est en tout cas le chemin de Marc Hautekeete, figure emblématique de la thérapie comportementale et cognitive en France. Portrait.

Il a la voix d’un sage. Une voix posée, qui raconte, qui questionne, qui s’amuse aussi, un peu comme un enfant. Il y a de cela chez Marc Hautekeete, une âme de défricheur, d’explorateur, qui a soif de découvertes et d’apprentissages comme les petits. D’ailleurs quand je lui demande son âge, il me répond qu’il a « l’âge où il est désormais interdit de lire le journal de Tintin pensé pour les 7 à 77 ans ». Le décor est posé. Ce passionné des sciences comportementales et cognitives a délibérément choisi ce chemin.

De la préhistoire à la psychologie 

Plus jeune, il était passionné par la préhistoire. Arrivé au BAC, il s’aperçoit qu’il n’y a pas d’études dédiées à cette thématique. Mais qu’à cela ne tienne ! Pourquoi ne pas inventer son propre parcours ? Il écrit alors au directeur du muséum d’histoire naturelle de Paris et lui fait part de son projet. «  Je lui avais proposé un plan d’études que j’avais élaboré moi-même  ». Cet homme lui répond une longue lettre manuscrite, enthousiaste mais il termine par cette phrase «  je vous préviens, il faut une fortune personnelle pour se lancer dans cela, car il n’y a  pas de poste et vous ne pourrez donc pas être rémunéré  ». Marc, qui vient d’une famille pauvre, ne peut se le permettre. Alors il se pose la question suivante : «  Qu’est-ce que je pourrais faire qui n’est pas enseigné au lycée ?  ». Déjà l’âme de s’aventurer en terrain inconnu…

Pendant l’année en question, il s’est intéressé un peu à la psychologie et a lu quelques bouquins dont un qui parle des conditionnements et des pathologies par conditionnement. Un exemple de recherche cité dans le livre l’a fortement intéressé. Il s’agissait d’un chien auquel était présenté un stimulus : quand on projetait l’image d’un cercle, il recevait de la nourriture (appétence). Quand on lui montrait celle d’un carré, il recevait une décharge électrique (peur). Les deux conditionnements une fois établis, les chercheurs avaient superposé les deux images et le chien était devenu « fou ».  «    Ça m’a marqué   », insiste-t-il. Voilà comment il se lance dans la psychologie. Il est déjà interpellé par les prémices de la psychopathologie comportementale et cognitive sans le savoir…

LA phrase qui change tout !

En 1966, il commence ses études. En conclusion d’un cours de 1ère année de psychologie générale sur le conditionnement, son professeur termine par une phrase a priori anodine : «  et puis il y a aussi des gens qui font des thérapies comportementales  » : «  Là, ça m’a fait tilt ! C’est resté dans le fond de ma mémoire  », assure Marc.

La mémoire justement, c’est ce qui va occuper toute sa vie. « La mémoire c’est central pour moi : c’est la façon dont se conservent les informations acquises par l’apprentissage  et qui va servir à gérer ce qui va se passer par la suite  ». Il fait une maitrise sur le sujet et, entré en 1971 comme assistant dans l’enseignement supérieur, poursuit une thèse sur cette thématique. Il travaille sur la consolidation de la mémoire, sur la façon dont l’information est transformée en mémoire. «  J’étais dans l’étude pure des processus mnésiques. À l’époque cela n’avait rien à voir avec les thérapies comportementales. Je me suis rendu compte bien plus tard que ce que j’avais étudié allait me servir en TCC  », s’amuse-t-il.

Le pompier incendiaire : le 1er cas traité en thérapie comportementale et cognitive

Dans le même temps, son ami Hubert qui effectue aussi des recherches en psychologie expérimentale atterrit dans un service à Armentières dans lequel le psychiatre fait des thérapies comportementales.

Après sa thèse, Marc décide alors de s’associer dès 1978 aux travaux menés par Hubert. Vint le premier cas original : un pompier incendiaire ! Il est interné, et aucune thérapie classique ne fonctionne. L’analyse fonctionnelle, permet de détecter ses peurs (les plus importantes, le feu et l’eau !) et il bénéficie d’une désensibilisation systématique et d’une thérapie par immersion. Il guérit de ses peurs mais aussi de sa pyromanie !

Les deux chercheurs publient alors un article à ce sujet : c’est la première publication de ce genre de cas traité en thérapie comportementale !  Cet  article parait en 1980 dans un journal de TCC Franco - Belge (disparu après 1984). «  C’est comme ça que dès 1978 je vais prendre contact avec l’AFTC et que je vais y entrer   » témoigne Marc. 

«    À l’époque, c’était artisanal, assez informel et nous étions tous très enthousiastes..  Pas de locaux : le bureau de notre unique secrétaire, Madame Courtois, se trouvait dans une pièce minuscule d’1,50m sur 1,50m prêtée à Sainte-Anne, et c’était fabuleux. Il y avait une émulation incroyable !  ».

Marc, devenu Professeur, s’investit beaucoup dans l’association, contribue à la faire rayonner et participe notamment à l’organisation des congrès. Il occupe aussi un autre poste : celui de membre du comité scientifique et d’auteur dans le JTCC (Journal de Thérapie Comportementale et Cognitive).

À sa retraite, en 2010, il en devient même le rédacteur en chef. Son but reste le même : diffuser au plus grand nombre les articles de la revue. Alors il commence à l’ouvrir à l’anglais, lui, qui ne parle pas vraiment cette langue.  Le JTCC se dédouble en JBCT (Journal of Behavior and Cognitive Therapy) . Il quitte cette fonction après 10 ans quand le JBCT devenu définitivement le JBCT  passe entièrement à anglais, ce qui permet une visibilité


 En 2019, un congrès Marc HAUTEKEETE pour remercier des 10 années au JTCC

La création du DESS option TCC

Dès les années 78/79 à l’université de Lille III il distille un peu de TCC, lors de TD ou dans des cours qui n’étaient pas officiellement intitulés TCC. 

Puis en 1985, Marc participe à la création du DESS de Psychologie Normale et Pathologique des Acquisitions et du Développement où il ouvre une option TCC.

 « C’est la première fois qu’il y a en France une formation officielle sur les TCC en psychologie », déclare-t-il. C’est une formation complète, sur 18 mois, dont 6 mois de stage. Marc l’aventurier enjoint donc ses premiers élèves à trouver des stages… qui n’existent pas ! Personne ne fait de TCC ! Mais ce n’est pas ce qui l’arrête. Il engage ses étudiants à repérer des endroits qui ont besoin de psychologues mais qui n’en ont pas. Malin ! « Mes élèves ne sont pas préparés pour une prise en charge en TCC alors je me donne l’obligation de les suivre individuellement. On imagine ensemble les thérapies adaptées pour les patients. Et après, s’étant rendus indispensables grâce à leur stage ils se voient ainsi créer des postes et pourront ensuite prendre des stagiaires », se remémore t-il.

Dans ses cours, et notamment dans ceux sur la prise en charge des phobies, Marc a une approche bien à lui qui a marqué ses étudiants : « Je faisais des cours pratiques ! » dit-il d’une voix claironnante. L’un des premiers cours porte sur l’anxiété et la phobie. « Je faisais alors passer une fausse araignée dans les rangs et j’observais les réactions des étudiants. Je repérais les phobiques et je faisais une confrontation in vivo comme on dit. Alors pas avec une véritable araignée mais avec une en plastique. Je déplaçais l’araignée pendant les 3 heures de cours pour qu’elle arrive petit à petit sur la table de la personne, puis sur son épaule, ou même ses cheveux… Avec cette progression dans la proximité, par habituation, la réaction de peur n’apparaissait pas ».

Apprendre toute sa vie

Ce qu’il a à cœur de leur transmettre ? Le plaisir d’évoluer, de changer, de s’améliorer. «  Je voulais qu’ils retiennent qu’ils seraient des étudiants toute leur vie. Les connaissances évoluent chaque jour, les pratiques aussi !  ».

«  Quand j’y repense, il fallait quand même être sacrément passionné pour se lancer dans des stages sans maitre de stage spécialisé  » s’amuse-t-il encore. «  Je remercie d’ailleurs tous ces étudiants qui ont été à la base de tout ce qui a été créé. Je suis heureux de me dire que j’ai dirigé les thèses de personnes qui enseignent aujourd’hui les TCC. J’ai même deux de mes étudiants qui ont été président de l’AFTCC !  ». La boucle est bouclée.

Marc Hautekeete est aujourd’hui à la retraite. S’est-il arrêté pour autant ? Non, bien entendu. En véritable passionné, il est abonné à divers magazines. «  J’élargis mon champ de connaissance à l’ensemble de toutes les sciences possibles ! Et j’observe leur évolution  ». Il suit le conseil qu’il a donné à ses élèves : être un étudiant toute sa vie !